Rufus Zuphall : Les innovateurs clandestins du Krautrock
Introduction
La scène allemande du rock progressif de la fin des années 1960 et du début des années 1970 a produit un grand nombre de groupes qui ont repoussé les limites de la musique rock vers de nouveaux territoires expérimentaux. Parmi eux, Rufus Zuphall se distingue comme l’un des groupes les plus intrigants et les plus méconnus. Mélangeant des éléments de rock progressif, de blues, de folk et de jazz avec de fortes tendances à l’improvisation, Rufus Zuphall faisait partie du mouvement Krautrock qui a également donné au monde des groupes tels que Can, Amon Düül II et Guru Guru. Bien qu’ils n’aient sorti que deux albums studio au cours de leur carrière, leur héritage reste une pièce essentielle du puzzle Krautrock.
Origines et formation
Rufus Zuphall s’est formé à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, en 1969. Les membres fondateurs sont :
- Günter Krause – guitare et voix
- Klaus Gülden – flûte et voix
- Helmut Lieblang – basse
- Udo Dahmen – batterie
Contrairement à certains de leurs contemporains plus avant-gardistes, Rufus Zuphall était enraciné dans le rock et le blues, mais leur volonté d’incorporer des mélodies à base de flûte et de longues improvisations les distinguait. La flûte, en particulier, est devenue un élément déterminant de leur son, ce qui a conduit de nombreux critiques à établir des parallèles avec Jethro Tull. Cependant, l’approche de Rufus Zuphall était plus sombre, plus expérimentale et imprégnée de l’esprit typiquement allemand du Krautrock.
Weiß der Teufel (1970)
Le premier album du groupe, Weiß der Teufel (“Diable blanc”), a été enregistré en 1970 et publié sur le label Little Wing of Refugees. Il témoigne d’emblée de l’audace du groupe.
L’album combine des riffs de guitare lourds avec des structures blues, de longs passages instrumentaux et des motifs de flûte puissants. Les titres les plus marquants sont les suivants :
- Weiß der Teufel, Part 1 & 2 – Une suite étendue avec des improvisations et des changements progressifs.
- Knight of 3rd Degree (Chevalier du Troisième Degré ) – Met en avant ses racines blues-rock.
La production brute, presque live, de l’ album a renforcé son attrait underground. Bien qu’il n’ait pas le lustre de groupes plus importants, son esprit d’aventure lui a valu un statut de culte parmi les collectionneurs et les fans du premier prog allemand.

Phallobst (1971)
Leur deuxième album, Phallobst (1971), permet à Rufus Zuphall d’élargir ses ambitions. Le titre lui-même est provocateur – “Phallobst” se traduit à peu près par “fruit phallique” – et reflète l’irrévérence de la contre-culture de l’époque.
Musicalement, l’album mélange des arrangements complexes avec des jams prolongés, touchant au blues, au rock progressif et au folk. Les morceaux les plus marquants sont les suivants :
- Opus 1 – Une épopée de 20 minutes qui résume l’énergie d’improvisation du groupe.
- Prickel Pit – Un morceau plus court et plus entraînant aux accents bluesy.
- Chevalier du 3ème degré (revisité) – Une continuation de leurs thèmes précédents.
Avec Phallobst, Rufus Zuphall s’est positionné comme un concurrent sérieux dans l’underground européen. L’album a toutefois souffert d’une distribution limitée, ce qui l’a empêché d’atteindre un public plus large à l’époque.
Rupture et silence
Malgré son talent, Rufus Zuphall est confronté à des difficultés communes à de nombreux groupes de Krautrock : soutien commercial limité, difficultés financières et lutte pour concurrencer les groupes anglo-américains qui dominent le marché. Après Phallobst, le groupe se dissout en 1972, mettant fin à une carrière prometteuse.
Pendant des décennies, leurs albums sont restés obscurs, connus uniquement des passionnés de Krautrock et des collectionneurs qui échangent des pressages vinyles rares.
Redécouverte et renaissance
Dans les années 1990, l’intérêt pour le Krautrock s’est accru à l’échelle internationale, car un public plus jeune et des collectionneurs ont commencé à apprécier l’esprit d’aventure de l’underground allemand. Les albums de Rufus Zuphall ont été réédités en CD et en vinyle, faisant découvrir leur musique à de nouveaux auditeurs.
En 1999, le groupe s’est reformé pour un concert à Aix-la-Chapelle, qui a débouché sur la sortie de Outside the Gates of Eden (2000), un album live reprenant à la fois leurs anciens classiques et de nouveaux morceaux. Bien que plus âgés, les musiciens font toujours preuve de la fougue et de l’audace d’improvisation qui caractérisaient leurs premières années.
Publications ultérieures
Depuis leur réunion, Rufus Zuphall se produit et enregistre occasionnellement, conservant un public restreint mais dévoué. Leur travail après la réunion comprend des enregistrements en direct et des documents d’archives, ce qui renforce leur réputation de groupe culte. Bien qu’ils n’aient jamais atteint la célébrité, leur influence dans les cercles progressifs et Krautrock ne cesse de croître.

Style musical
La musique de Rufus Zuphall se caractérise par :
- La flûte comme instrument principal: La flûte de Klaus Gülden a donné à leur son une identité distincte, les démarquant de leurs contemporains à la guitare.
- Fusion blues-progressif: Contrairement à Can ou Faust, Rufus Zuphall était enraciné dans le blues rock, mais l’a poussé dans des directions progressives.
- Improvisation: Leurs longues suites ressemblent souvent à des jams contrôlés, mettant l’accent sur la spontanéité.
- Atmosphère sombre: Même dans leurs passages d’inspiration folklorique, il y a une qualité sombre.
Ce mélange a fait d’eux l’une des entrées les plus uniques dans le mouvement Krautrock, à cheval entre l’accessibilité et l’expérimentation.
Influence et héritage
Bien que Rufus Zuphall n’ait jamais atteint la reconnaissance de groupes tels que Kraftwerk, Can ou Amon Düül II, leur musique reste très respectée parmi les amateurs de Krautrock. Leur volonté de combiner le folk, le blues et l’improvisation progressive avec une atmosphère sombre et germanique a influencé les générations suivantes de musiciens underground et prog.
Les collectionneurs apprécient les versions originales en vinyle, et leur culte n’a fait que croître grâce aux rééditions et à l’internet. Ils sont souvent cités comme un exemple de la diversité et de l’expérimentation de la scène Krautrock, qui va bien au-delà des pionniers de l’électronique les plus connus.
Conclusion
Rufus Zuphall n’a peut-être pas atteint la célébrité au cours de sa brève carrière initiale, mais son héritage en tant que joyau caché du Krautrock est indéniable. Avec seulement deux albums originaux, Weiß der Teufel et Phallobst, ils ont créé un son qui mélangeait des racines bluesy avec une audace progressive et un esprit expérimental typiquement allemand.
Leur renaissance dans les années 1990 et leur popularité continue prouvent qu’une musique en avance sur son temps peut finir par trouver son public. Pour les auditeurs désireux d’explorer au-delà de l’histoire du rock progressif, Rufus Zuphall offre un voyage enrichissant au cœur de l’aventure de l’Allemagne du début des années 1970.

